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Michel Fustier

CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
(http://contescreation.free.fr )


18 – GUINEE : L’HOMME, LA MORT ET SA FILLE.


Je ne suis qu’un pauvre griot et, bien sûr, le commencement du monde, je n’y étais pas. Mais on m’a dit des choses ici et là, et si vous voulez que je vous les raconte… Malheureusement, nous, les Africains, nous sommes tellement nombreux et tellement divers que ça ne m’étonnerait pas que ce se soit un peu mélangé… surtout depuis que les Blancs sont venus. Enfin, je ne vous garantis rien. Mais si vous y tenez quand même…

Au début, donc…
Au début, naturellement, il n’y avait rien…
Enfin, quand je dis rien : si, il y avait quelque chose, mais quelque chose qui n’était rien. Je veux dire la Mort, qui vivait quelque part avec sa fille. Elle s’appelait Ha. Vous voyez que j’avais raison de dire que ce n’était rien, car on ne savait même pas encore ce que c’était que la Mort.
La Mort avait pris l’habitude de vivre sur une immense mer de boue. D’où qu’elle regardât, c’était indistinctement partout de la boue. Oui, sûrement ce ne pouvait être que la Mort qui avait imaginé un machin si dégoûtant. On ne savait pas bien comment elle s’y était prise. Mais c’est rusé, la Mort, ça connaît des trucs.
Un beau jour, Ala Tangana vint rendre visite à la Mort, qu’il eut de la peine à trouver dans cette vaste étendue grise, qui était si triste et qui sentait si mauvais : « Comment, lui dit-il, as-tu pu te faire une demeure aussi sordide : pas d’arbre, pas de lumière, pas d’animaux, les pieds toujours sales et mouillés…? » La Mort ne répondit que par quelques petits glou-glous. Ala Tangana ajouta : « Veux-tu que je t’aide à arranger ta demeure ? » Ala Tangana n’était pas sûr d’avoir compris ce que la Mort lui avait répondu, mais comme c’était quelqu’un de très entreprenant, et qu’il avait envie de faire quelque chose, il se mit au travail.
D’abord il souffla sur la boue pour la sécher : et ce fut la terre. Puis, comme il trouvait que la terre toute seule était encore trop monotone, il créa des plantes et des animaux de toutes espèces pour la recouvrir.
Comme toutes ces plantes et tous ces animaux étaient mortels (mais on ne le savait pas encore), Ha, la Mort, sortit de son trou (c’était bien la preuve qu’elle existait !) et se montra très satisfaite de cette amélioration. Elle se lia même d’amitié avec Ala Tangana et, s’étant fait construire une maison, elle lui offrit une large hospitalité.
Tant et si bien qu’à la fin Ala Tangana, qui était resté jusque là célibataire, demanda à Ha la main de sa fille. Mais Ha refusa : d’une part elle ne voulait pas payer de dot pour le mariage et d’autre part elle avait besoin de sa fille pour faire la cuisine.
Alors, Ala Tangana enleva la fille de Ha et ils allèrent se cacher aussi loin qu’ils le purent. Et ils eurent quatorze enfants, sept garçons et sept filles. Chose curieuse, trois garçons et trois filles étaient noirs et quatre garçons et quatre filles étaient blancs ! Est-ce à cause de cela que les parents eurent beaucoup de problèmes d’éducation : peut-être ! En tout cas ils s’aperçurent à la fin que chacun de leurs enfants parlait une langue différente. Ils ne se comprenaient pas entre eux et leurs parents ne les comprenaient pas. Ce sont des choses qui arrivent.
Bien que ses rapports avec Ha soient encore très mauvais, puisqu’il lui avait autrefois enlevé sa fille, Ala Tangana ne vit pas d’autre solution que d’aller la consulter sur cette question de langage : Ha savait beaucoup de choses. Elle était un peu sorcière.
Ala Tangana eut beaucoup de chemin à parcourir, tellement il s’était installé loin d’elle. Mais enfin il arriva et lui fit part de son malheur : « Eh bien, lui répondit la Mort, ne te plains pas à moi : c’est moi qui t’ai puni pour avoir trahi mon amitié et enlevé ma fille. Je n’y changerai rien. Jamais tu ne comprendras tes enfants et jamais tes enfants ne te comprendront. »
Ali Tangana supplia celle qui était sa belle-mère. Rien n’y fit, la Mort n’avait pas l’habitude de revenir sur les sentences qu'elle avait rendues. Cependant, à force de prières, il obtint une sorte de compensation, du moins le croyait-il…
« A tes enfants blancs je donnerai l’intelligence et du papier blanc pour qu’ils puissent y noter leurs idées… »
« Et à mes enfants noirs… ? »
« A tes enfants noirs, je donnerai un coupe-coupe et une hache pour qu’ils puissent se nourrir, fabriquer ce qui leur sera nécessaire et ainsi être contents de vivre. »
Ala Tangana se demanda ce que cela voulait dire et ce qu’il en adviendrait. Cette histoire de papier, par exemple, il ne savait pas ce que c’était. Et pas davantage ce que c’était qu’écrire. Il ne répondit rien tellement il était abasourdi.
« Cependant, ajouta la Mort, je te le dis dans ma sagesse, prends garde en attendant de marier tes filles blanches avec tes fils blancs et tes filles noires avec tes fils noirs. Pas de mélange, c’est un conseil que je te donne. »
En ce temps-là on ne savait pas encore que les frères et les sœurs ne devaient pas se marier entre eux. Mais si on l’avait su, il n’y aurait plus maintenant d’hommes sur la terre, ni blancs, ni noirs et la Mort s’était bien gardée de faire part de cette interdiction.
Ala Tangana, sans réfléchir aux conséquences, fit bientôt célébrer tous les mariages et les nouveaux mariés se dispersèrent dans le monde entier. Et la terre se couvrit d’enfants innombrables qui devinrent des Italiens, des Français, des Allemands, des Kono, des Guerzés, des Manis, des Yacumbas… Très bien !

Malheureusement, en ce temps-là, il n’y avait pas encore de lumière sur la terre et les Hommes ne pouvaient pas se livrer à leurs travaux quotidiens. Ala Tangana dut encore s’adresser à Ha à laquelle, de peur de se présenter à elle en personne, il envoya deux messagers, un chien et un coq.
Quand le chien et le coq revinrent, ils n’avaient rien compris à ce que leur avait dit la Mort. Mais le lendemain, il arriva que le coq, il ne savait pas trop comment, poussa son premier cocorico… Et que le chien, il ne savait pas trop comment, se mit à aboyer pour la première fois : et aussitôt le soleil se leva et la lumière se manifesta. Et la nuit il y eut aussi des étoiles et parfois la lune dans le ciel.
Et ainsi les hommes eurent tout ce qu’il demandaient : la lumière, l’intelligence, les outils nécessaires à leur subsistance… Et ils devinrent de plus en plus nombreux car il était agréable de vivre. Et ils croyaient qu’ils vivraient toujours.
Mais Ha fit bientôt appeler Ala Tangana : « Tu m’as pris autrefois mon enfant unique et en retour je t’ai fait du bien, à toi ainsi qu’à tes enfants. Mais moi, je suis sans enfants maintenant. Aussi, chaque fois que j’en aurai envie, tu devras me donner un des tiens. Et c’est moi qui en ferai le choix… »
Ala Tangana essaya de mettre en œuvre tous les sortilèges qu’il connaissait. Mais la Mort était la plus forte. Ala Tangana ne put que consentir. Ainsi les enfants d’Ala Tangana eurent-ils à payer le prix de la faute que leur père avait commise en enlevant leur mère. Il faut toujours payer.
Et c’est pour cela qu’aujourd’hui il y a des gens qui meurent ici et là, et pas toujours de vieillesse, au gré de la fantaisie de la Mort. Et cela est très douloureux.

Je n’en sais pas plus, ajouta le griot. C’est comme cela que j’ai entendu raconter l’histoire. J’en ai peut-être un peu rajouté pour me faire mieux comprendre : mais l’essentiel a été dit.


Sources : Ce conte est une paraphrase et le développement d’un conte guinéen recueilli par B. Holas et cité dans le livre Les grands mythes de la création du monde de Ravignan et Kielce. Son originalité est de mettre au premier plan non pas la Vie, mais la Mort. Il va ainsi contre la plupart des grandes traditions religieuses pour lesquelles l’homme est au contraire en mouvement vers des formes de vie supérieures.

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