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Michel Fustier

CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
(http://contescreation.free.fr )


13 – AUSTRALIE : LES HEROS TOTEMIQUES.


Atnatu n’était pas d’un tempérament très actif. Naturellement : il avait tellement de temps devant lui qu’il n’avait aucune raison de se presser en quoi que ce soit. Atnatu était éternellement jeune, ou, si l’on préfère, jouissait d’une vieillesse que rien ne venait jamais interrompre : ce qu’il veut dire qu’il ne connaissait pas la mort.
Seuls les êtres qui sont menacés par la mort se dépêchent de faire ce qu’ils croient avoir à faire !
Lorsque Atnatu se réveilla, ce matin-là, il se dit cependant qu’il ferait bien de se créer lui-même, qu’il en était rand temps. Mais s’étant assis sur son lit, il découvrit que c’était fait, qu’il s’était déjà créé.
Et qu’il avait même déjà créé dans la foulée plusieurs épouses dont il avait eu de nombreux fils, qui comme lui s’appelaient Atnatu… Il ne s’était même pas fatigué à leur trouver un nom. Et il se replongea dans son sommeil.

Atnatu était incontestablement le Dieu du ciel, mais il n’était donc absolument pas démangé par la plus petite volonté de s’intéresser à quelque monde que ce soit, comme le sont d’ordinaire les Dieux de son espèce, qui ne peuvent pas se retenir de se lancer dans l’aventure de la création.
Il n’avait en effet jamais exercé une influence au delà de ce ciel où il vivait. Il n’avait pas même contribué à construire sa propre demeure. Et, bien entendu, il n’avait jamais façonné le moindre caillou, ni fait pousser la plus petite plante, ni surtout insufflé la vie dans aucune narine d’aucun homme..
Il vivait de fruits et de légumes dans un pays éternellement vert, couvert d'arbres, de fleurs et d'oiseaux. Un pays que la Voie lactée, tel un large fleuve, arrosait.
Et Atnatu, naturellement, n’ayant pas fait grand chose, n’avait jamais fait quoi que ce soit de mal, ni quoi que ce soit de bien. Il n’avait même pas idée que cela puisse exister.

Comment se fait-il, dans ce contexte, qu’un jour (mais y avait-il des jours, et cela a-t-il un sens ?), qu'un jour donc, ses fils l’aient irrité et que pour cette raison, leur père les ait chassés du ciel ? Quelle énergie subite ! Nul ne le sait, ni ne le saura jamais.
Toujours est-il que chassés du ciel, ces fils ne purent que se réfugier sur la terre, puisqu’il n’y avait pas autre chose que le ciel et la terre. Et comme la terre était à cette époque vide et désolée, ces fils n'eurent d'autre ressource pour survivre que de s'enterrer dans le sol et d’y revenir, blottis sur eux-mêmes, à une sorte d'état embryonnaire.
Du moins, c'est ce que l'on suppose, car comment s'expliquer autrement que d’une part les fils de Dieu aient été chassés du ciel et d’autre part on ait découvert des milliers d'êtres surnaturels incréés enfouis au pied des sources d’eau vive.
Ils y survécurent donc, jusqu'à ce qu’enfin ils sortent de leur sommeil et apparaissent à la lumière. « Nous voici, dirent-ils. » Et ce fut comme s’ils étaient nés une seconde fois, nés de la terre, même s’ils étaient fils du ciel. Et ils apparurent soit sous la forme d'animaux, que les hommes du pays appelèrent plus tard "Totems", soit sous la forme d'hommes, parfaits de forme et d'une grande beauté. La plupart pouvaient d'ailleurs passer d'une apparence à l'autre sans perdre aucune de leurs qualités.
« Puisque nous sommes nés de la terre, il faut que nous nous occupions d’elle, se dirent-ils alors. » Et ils se mirent à parcourir le pays, qui était alors plat et boueux. Ils en modelèrent l'apparence et en dessinèrent le paysage, faisant apparaître les montagnes, les fleuves, les forêts. Ils firent en sorte que leur mère la terre devienne très belle et douce à vivre.
Comme ils étaient essentiellement bienfaisants, ils s'occupèrent aussi des êtres qui commençaient à la peupler. Ils découpèrent la masse indistincte que formait alors l'humanité pour en dégager les individus, eux-mêmes encore à l'état d'embryons. Ensuite, ils coupèrent les ligaments qui joignaient les doigts de leurs mains et de leurs pieds, ils leur ouvrirent les yeux et les oreilles.
Et alors les hommes leur dirent : « O vous qui savez tout, montrez-nous comment vivre. » Et ils leur enseignèrent à fabriquer leurs outils, à allumer le feu, à chasser, à pécher, à construire leurs huttes et à faire cuire leurs aliments. Ils leur donnèrent aussi quelques règles de morale.
Où les Héros totémiques avaient-ils appris tout cela? Nul ne le sait, mais il est évident qu'ils le savaient et ils ne ménagèrent pas leur peine. Ils étaient par essence des civilisateurs. Chaque tribu eut le sien. La vie sur la terre fut alors pour les hommes une sorte d'Age d'or ou de Paradis terrestre. Ils ne connaissaient pas le bien et le mal, ils ne mourraient pas.
Cependant nos Héros civilisateurs s'étaient donné tant de peine pour parcourir le monde et aider les hommes qu'à la fin, ils furent fatigués. Une lassitude insurmontable s'empara d'eux. Ils avaient épuisé leurs forces à leurs travaux.
Ils décidèrent donc de retourner à la terre dont ils étaient sortis, et ils y retournèrent souvent au point même où ils étaient apparus, c’est à dire près des sources, et ils s’y enterrèrent. Parfois ils s’y changèrent en rochers ou en arbres, qui maintenant les représentent dans toute leur puissance.
Et désormais, ces lieux situés près des sources sont considérés comme sacrés : les hommes s’y réunissent, ils y refont le voyage mythique de l’Ancêtre, ils y reçoivent à nouveau ses enseignements et revivent ainsi les étapes de la création du monde. Mais il ne semble pas qu’ils leur adressent des prières ou leur offrent des sacrifices.

Certains Ancêtres connurent cependant un autre sort : on dit en effet qu’au lieu de retourner à la terre, ils montèrent au ciel, au cours d'une ascension si haute qu’elle leur permit de devenir des étoiles dans le firmament.
Cette ascension était facile, grâce à des lianes, ou à des arbres, ou même à des échelles qui d'une façon très courante reliaient le ciel à la terre. Les Ancêtres Totémiques, ou même les hommes, passaient facilement de la terre au ciel, et ainsi ils ne connaissaient pas la mort.
Cependant, un jour, deux Ancêtres Totémiques, moins bien disposés que les autres envers les hommes, tirèrent l'échelle après être montés : et désormais les hommes n'eurent plus d'accès au ciel, ce qui veut dire qu’ils furent désormais soumis à la mort. Ce fut la fin de l’Age d’or.
Il y a une autre version du même récit. Il s'agit cette fois d'un héros bien identifié : Numbakulla. Il avait planté un poteau au centre d'un terrain sacré et il l'avait enduit de sang. Il monta le long du poteau et arriva au ciel.
Ensuite il dit au chef de la tribu : « Monte, toi aussi. ». Mais le poteau enduit de sang était trop glissant et le chef de la tribu ne parvint pas à monter, il retomba sur la terre. Alors Numbakulla dit : « Tant pis pour toi ! » et il tira le poteau (c'est toujours la même technique). On ne le revit jamais. Les hommes désormais ne pouvaient plus aspirer à l'éternité.
Depuis, les hommes ne manquent jamais de dresser un poteau au centre de leurs lieux de culte. Il leur sert de point de repère dans l'espace : c'est en quelque sorte pour eux, du haut vers le bas, l'axe du monde. Il marque également le départ des quatre directions de l'univers et ainsi protège-t-il les hommes du chaos, c’est à dire du désordre. Ce poteau, c'est aussi le secret espoir qu'un jour, peut-être, ils pourront rejoindre le ciel.


Sources : L’Occident découvrit la religion et les mœurs des aborigènes d’Australie au dix-neuvième siècle. Leurs croyances firent l’objet de grandes querelles d’ethnologues. En particulier celle-ci : la notion de grand Dieu unique était-elle authentique et initiale ou avait-elle été soufflée par les missionnaires chrétiens ? Quoi qu’il en soit, ces études inspirèrent et Freud (Totem et tabou) et Frazer (Le rameau d’or). Mircéa Eliade a résumé et repris la question dans son livre : Religions australiennes. Mircéa Eliade a été particulièrement sensible à la présence, en Australie comme dans beaucoup d’autres civilisations, d’un personnage qui lui est cher, le « deux otiosus », c’est à dire le « dieu paresseux », créateur presque ignoré des hommes et qui règne dans le ciel sans gouverner.

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