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Michel Fustier

CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
(http://contescreation.free.fr )


12 - LES INDIENS ZUNIS : DU FOND DES TENEBRES.


Naturellement, Awonawilona, le Créateur, commença son œuvre avec le Soleil-Père et avec la Lune-Mère qui étaient dans le monde d’en haut, pendant que, dans le monde d’en bas, des êtres surhumains s’appliquaient, conformément à ses ordres, à faire apparaître l’air, les nuages, la lumière…
Ensuite ces êtres surhumains crachèrent dans leurs mains et donnèrent naissance aux étoiles (il fallait bien un peu de lumière quand la lune se cachait) et à la terre. « Regardez ce que je peux faire » avait dit l’un d’entre eux ; et tandis qu’il se frottait les mains, sa salive avait produit une sorte de mousse qui débordait de tous les côtés. Et ainsi avait-il formé la terre, la Terre-Mère.

« C’est bien, dit Awonawilona, mais d’ici, je ne vois pas bien et il faut que j‘aille regarder de près à quoi ressemble cette terre que l’on vient de former. » Et il descendit du monde d’en haut vers le monde d’en bas.
Il visita la terre. Or la terre était composée de plusieurs cavernes superposées. La première était faiblement éclairée par la lumière de Soleil, mais la dernière était si profondément enfouie qu’aucune lumière n’y parvenait.
« Que ferons-nous de la terre, dit Awonawilona ? » Il réfléchit…
Awonawilona voulut bien créer des hommes, mais il ne consentit pas à les créer à la surface de la terre, ni même dans la première caverne, où ils auraient tout de même reçu un peu de lumière. Mais de peur, peut-être, qu’ils n’offensent sa vue ou ne soient trop puissants, il les créa dans la dernière, qui était plongée dans la plus profonde obscurité.
Puis, comme il ne les voyait pas, il les oublia. Il retourna dans le ciel et les oublia. Il avait bien voulu les créer, mais, sincèrement, il ne savait pas qu’en faire et il n’y pensa plus.

Les hommes, malgré l’obscurité se multiplièrent rapidement. Ils ressemblaient à des insectes avec des carapaces et des antennes. Ils grouillaient de toute part et ils se montaient les uns sur les autres, car l’espace de leur caverne était limité. Il faisait de plus, à l’intérieur de la terre une épuisante chaleur.
Leurs pattes étaient terminées par des griffes puissantes, ce qui fait que, malgré leurs carapaces, ils pouvaient se porter des coups redoutables. Et ils se battaient pour savoir qui pourrait subsister.
Avec le temps, ils finirent cependant par s’organiser et en particulier ils élirent des chefs qui leur donnèrent des lois. Il apparut aussi dans le peuple des prêtres qui les relièrent à Celui (il devait bien y en avoir un !) qui, bien qu’il n’ait pas voulu les mettre dans sa lumière, n’en était pas moins leur Créateur.
L’un d’entre eux devint le Grand Prêtre. Il fit dresser des pierres fétiches autour desquelles ils se réunissaient. Un jour il leur dit : « Nous ne resterons pas indéfiniment dans cette obscurité. Je vais aller voir s’il n’y a pas un chemin vers la lumière. »

Et le Grand Prêtre partit et s’éleva en tâtonnant par des chemins secrets. Souvent il était obligé de monter le long d'interminables cheminées obscures. Dix fois, il eut l’impression qu’il était perdu et qu’il n’y avait plus d’issues, dix fois il vit à la dernière minute une vague clarté qui l’attirait cependant vers le haut…
Et à la fin, ayant beaucoup zigzagué, il arriva dans la lumière du soleil et il fut ébloui. « Ô Awonawilona, dit-il, comment peux-tu laisser les hommes moisir dans leur obscurité quand le monde extérieur est baigné dans une telle splendeur. Là-bas dans les profondeurs, ils s’aigrissent et te maudissent : si tu les faisais monter jusqu’à la surface de la terre, à la lumière du soleil, ils revivraient et te béniraient, et cela te serait agréable. »
« Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée, dit Awonawilona, qui se souvint tout à coup des hommes. Ce n’est pas parce que je suis le Créateur que je n’aime pas les choses agréables. D’ailleurs, je m’ennuie un petit peu : peut-être me distrairaient-ils. Mais c’est compliqué de les sortir de là. »
Awonawilona réfléchit alors longuement et à la fin il posa son esprit sur les torrents des montagnes, blanchis par l’écume des rapides. Il les pénétra se ses rayons et en naquirent deux jumeaux resplendissants de lumière.
« Allez, leur dit-il, vous qui êtes couverts de soleil, et descendez jusqu’à la dernière des cavernes de la terre : là vous trouverez, me dit-on, des hommes obscurs entourés de leurs prêtres. Votre tâche sera de les faire monter jusqu’à la lumière. »
Il ajouta : « Mais prenez garde de ne pas le faire trop brusquement, car ils y perdraient leurs yeux, brûlés par le soleil ; au contraire, ayez soin de leur ménager une lente remontée. Et, pour leur donner un avant-goût de la lumière, emportez avec vous quelques pommes dorées et quelques épis mûrs. »
Les radieux jumeaux descendirent dans le cloaque où pourrissaient les hommes, qui furent autant émerveillés de les voir, qu’eux-mêmes furent épouvantés de l’état dans lequel ils les trouvèrent.
A la clarté que les jumeaux dégageaient, ils plantèrent tous un arbre qui progressivement enfouit ses racines dans le sol et éleva lentement vers le haut ses branches et son tronc. Et l’arbre perça successivement toutes les cavernes obscures de la terre pour arriver enfin à la surface.

Et l’arbre fut comme une immense échelle grâce à laquelle les hommes purent s’élever lentement jusqu’à la lumière. L’ascension dura longtemps et elle fut très pénible. Les hommes, en ce temps-là, n’étaient pas habitués à monter aux arbres. Ils tombaient des branches par grappes entières et s'écrasaient dans l'obscurité.
Quand ils virent enfin tous les survivants réunis en pleine lumière, les jumeaux, tellement les hommes étaient laids, poussèrent un cri d’horreur : « Ce n’est pas tout, dirent-ils : maintenant, il faut vous réviser de la tête aux pieds pour que vous soyez dignes de vivre sur la terre. » Et ils se mirent au travail, les écaillant, raclant leur peau, coupant les griffes, enfonçant leurs yeux… Et les hommes devinrent des hommes tels que nous les connaissons.
Après quoi, les hommes se mirent, sous la direction de leurs prêtres, à la recherche du Milieu du monde. Ils auraient pu s’installer n’importe où : mais pour eux le Milieu de monde était quelque chose de très important. Il fallait qu’ils sachent se diriger dans leur nouvelle patrie qui comportait six directions : l’orient, l’occident, le levant, le couchant, le haut et le bas… Et pour cela, il fallait qu’ils aient un repère et c'était le Milieu du monde.
Ils errèrent longtemps, traversant les ruisseaux et les montagnes au prix de grandes difficultés. A la fin, cependant, ils arrivèrent au Milieu du monde, ils repérèrent les six directions. Ils furent rassurés et ils s’installèrent confortablement. De là, ils devaient rayonner sur le monde.
Ensuite ils remercièrent leur Créateur de les avoir laissé parvenir sur leur nouveau territoire et se firent dorer au soleil.


Sources : Légende des indiens Zunis de l’Arizona. Ce récit est remarquable en ceci que, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d’autres cas, l’homme n’est pas d’abord placé dans un paradis terrestre, d’où il est chassé, mais dans une sorte d’enfer dont son créateur le fait ensuite remonter. Cette mythologie de l’émergence, commune aux indiens de l’Arizona et à d’autres populations voisines, a été recueillie au début de XXème siècle par Frank-Hamilton Cuxshing et Mathilda Coxe-Stevenson. Nous en proposons ici le récit dans une version simplifiée. On en trouve également une version librement adaptée par Jean-Pierre Otte dans le second livre de Les aubes enchantées (Seghers).

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