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Michel Fustier

CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
(http://contescreation.free.fr )


11 – LA BIBLE ET K.G. JUNG : LES REMORDS DE YAHWE.


LE SCRIBE - Que je vous explique… Nous avons commencé par écrire l’histoire de Salomon : là nous avions encore des témoins ; puis nous sommes remontés à David, puis à Saül, puis aux Juges… toujours en nous enfonçant plus loin dans le passé : et évidemment, avec de moins en moins de témoins. Ensuite Josué, Moïse, les Patriarches, Abraham… là on a carrément improvisé sur des vieilles légendes. Et puis à force de remonter le temps à l’envers, nous n’avons plus trouvé devant nous que l’histoire du commencement, qui est justement celle de la création. Et là, nous nous sommes dit : que nous sommes bêtes, nous avons encore un témoin, Yahwé.
YAHWE - En effet, j’y étais. Que voulez-vous savoir ?
LE SCRIBE - Oh, sur les petits commencements nous sommes tous d’accord, enfin, je crois : le premier jour, le second jour… la lumière, la terre, les plantes, les animaux… etc. Non, ce qui nous intéresse, c’est la création de l’homme
YAHWE - Oh, c’est là que j’ai le plus bafouillé… Enfin, si ça vous intéresse.
LE SCRIBE - Ca nous passionne !
YAHWE - En fait, le premier jour, contrairement à ce que vous venez de dire, il n’y avait ni plantes, ni animaux, mais seulement la terre. Et naturellement l’eau qui montait de toute part. Qu’est ce que ça allait donner ? J’étais un peu anxieux. Pour tromper l’attente, j’ai pris un peu de terre, de celle qu’on appellera par la suite argile ; l’eau venait de la mouiller, elle était très malléable… Je me laissai tenter ! « Exprime-toi, me disais-je en moi-même, ça te calmera. » Et je me suis mis à faire du modelage… comme au jardin d’enfants. Je voulais faire un cendrier, c’est ce qu’il y a de plus simple. Mais je n’étais pas maître de moi, ça partait dans tous les sens, avec des excroissances comme des bras et comme des jambes ; et puis une autre comme une tête. Pour un cendrier, ce n’était vraiment pas ça que je voulais : j’ai poussé un soupir. Et tout à coup, sous l’effet de mon soupir, cela s’est mis à bouger, à courir et à parler ! Qu’est-ce que j’avais donc fait ?
LE SCRIBE - C’est vraiment comme cela que ça s’est passé ?
YAHWE - Ca a beau être vieux, je m’en souviens très bien.
LE SCRIBE - Et alors ?
YAHWE - J’aurais mieux fait, au lieu de soupirer, d’écraser tout ça d’un coup de poing. On n’en aurait plus parlé. Mais c’était trop tard. J‘ai eu un moment d’hésitation, je l’ai laissé, comment dites-vous, vivre. Oui, vivre, c’est cela. J’ai eu une faiblesse. Et pour qu’il vive vraiment, je ne pouvais pas l’abandonner tel quel dans son océan de boue : j’ai du inventer les plantes, les arbres et les fleurs, pour le distraire et le nourrir! Et je l’ai mis dans un jardin. Il faut être humain !
LE SCRIBE - Et c’est là que vous avez planté l’arbre de vie ?
YAHWE - Bien obligé : il était vivant, je vous le rappelle, c’était spécialement pour lui, pour qu’il se nourrisse.
LE SCRIBE - Et l’arbre de la connaissance du bien et du mal ?
YAHWE - Non, non, ça, c’est plus tard, beaucoup plus tard. Il n’y avait à cette époque ni bien ni mal. Pourquoi y en aurait-il eu ?
LE SCRIBE - Et alors ?
YAHWE - J’avais tout fait pour lui : mais il me paraissait un peu mélancolique au milieu de toutes ses fleurs. Je me suis dit que j’allais lui faire aussi quelques jouets, des jouets qu’on ait pas besoin de remonter, qui marchent tout seul : et j’ai inventé les animaux. Il s’est amusé à leur donner des noms, il a couru avec eux, ils se battaient pour rire et ils se mordaient gentiment… Mais ça n’a pas suffi : il ne pouvait pas parler avec eux, et j’ai fini par comprendre qu’ils ne lui étaient pas assortis.
LE SCRIBE - C’est difficile de faire quelque chose avec les hommes : ils sont imprévisibles ! Je le vois bien avec mes lecteurs : jamais contents.
YAHWE - En fait, j’aurais vraiment mieux fait d’écraser mon cendrier. Mais maintenant que c’était parti… ! Pour tout dire, j’étais bien embêté. Cependant, j’eus une idée… Si je veux qu’il se sente bien, il lui faut quelque chose qui lui ressemble. Je vais donc tirer cette chose de lui, comme ça je serai sûr que, génétiquement, ce sera bon. Un jour qu’il s’était endormi… il n’avait rien à faire, il dormait beaucoup ! je lui enlevai sans qu’il s’en aperçoive une de ses côtes…
LE SCRIBE - Ah oui, la fameuse côte ! C’est authentique, ça ?
YAHWE - Bien sûr.
LE SCRIBE - Enfin un témoignage qui recoupe la tradition !
YAHWE - Et de cette côte je fis un autre être vivant semblable à lui, à quelques différences près. Je n’avais pas parfaitement réussi mon coup. Il se trouvait qu’ils n’avaient pas exactement les mêmes creux et les mêmes bosses… Sur le coup je n’y attachai pas d’importance : il ne s’en apercevra pas me disais-je. Mais si j’avais su !
LE SCRIBE - Il s’en est aperçu ?
YAHWE - Ne m’en parlez pas. Et ça lui plaisait tellement que, de sa femme – c’est comme ça qu’il l’avait appelée - il devint éperdument amoureux et s’attacha démesurément à elle. Moi, j’avais pensé à une simple compagne : elle devint sa déesse… Déesse, à moi, Dieu, le mot me fait un peu mal à prononcer. Et ils furent remplis d’un tel bonheur que, même moi, j’avais du mal à en comprendre la plénitude. Et là…
LE SCRIBE - Et là ?
YAHWE – Là, je l’avoue, moi qui était un solitaire, je devins jaloux. Je ne pouvais pas supporter des les voir se promener tous les deux, bras dessus, bras dessous, et se livrer à tous les jeux qu’il s’étaient inventés en profitant justement des petites différences que maladroitement j’avais laissé subsister entre eux… Et je me sentis pris de la sourde envie de troubler leur bonheur… C’est mesquin, mais je suis bien obligé de le reconnaître.
LE SCRIBE - Ne me dites pas que c’est à ce moment que vous avez planté l’arbre de la connaissance du bien et du mal, de façon à pouvoir leur en interdire les fruits.
YAHWE - Si. Il fallait bien que je les embête un petit peu. L’arbre du bien et du mal, cela voulait dire qu’il y aurait des choses permises et des choses défendues. Selon mon bon plaisir, comme ça ! Oh, rien de grave à l'origine. Mais je ne prévoyais pas jusqu’où ça irait. Je pensais à des trucs sans importance, c’était en fait une diabolique invention.
LE SCRIBE - On a dit que la femme avait été tentée par le serpent.
YAHWE - Mais non, invention des prêtres : le serpent, c’était moi. Je peux me changer en toutes sortes d’animaux, quand je veux. Du fruit défendu, elle en cueillit, elle en mangea, elle en fit manger à son mari. Ainsi ils m’avaient désobéi, à moi, leur créateur et ils avaient eu en plus l’outrecuidance de se vanter d’avoir méprisé mon interdiction…! C’était en fait bien peu de chose, d’autant que je n’étais pas sûr que cette interdiction ne relevait pas de l’abus de pouvoir. Mais je perdis toute mesure : je les chassai de leur jardin, je les condamnais à la peine, à la douleur et à la mort… Quand on est en colère, on ne sait plus ce qu’on fait. Mais vous connaissez le détail de l’affaire bien mieux que moi : les prêtres, dans leur enthousiasme, en ont rajouté.
LE SCRIBE - Vous mettez en cause leur version.
YAWHE - Bien sûr. Je ne prétends pas être objectif, mais tout de même ! Je remets surtout en cause leur interprétation. Il y a loin de ce qu’ils disent à ce que j’ai fait.
LE SCRIBE – Justement : ce que vous avez fait, le regrettez-vous ?
YAHWE - C’est vraiment un scoop que je vous donne là : oui, moi, Dieu, je le regrette ! Le coupable, c’était moi.
LE SCRIBE – Ah bon. Dites donc, du repentir : ceci ne colle guère avec la figure rigide et terrible que vous vous êtes faite par la suite.
YAWHE – Qu’on m’a faite, vous voulez dire ! Je n’y suis pour rien.
LE SCRIBE – Vous regrettez donc. Et comptez-vous entreprendre quelque chose pour réparer.
YAHWE – Vous savez ce que c’est que le remords ? Cela m’obsède. J’ai maintenant un fils aîné qui, à la longue, est devenu adulte : un grand, beau garçon. Il va m’aider et, autre scoop, je compte l’envoyer parmi les hommes pour qu’ils voient leur Dieu dans sa bonne volonté et qu’ils me pardonnent le mal que je leur ai fait. Et que tout soit comme avant. Il est d'accord.
LE SCRIBE - Je peux l’écrire. Le fils aîné…
YAHWE – Naturellement ! Ecrivez, mais bien peu vous comprendront.
LE SCRIBE – Cela va me faire un joli papier. En fait, à vous entendre, vous n’avez pas été du tout un dieu parfait.
YAHWE - Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Je suis ce que je suis, c’est tout. Parfait, qu’est-ce que c’est que ça ? Pour moi, dites-le aux hommes et aux femmes, j’aimerais mieux qu’on parle non de perfection, mais de bonheur.
LE SCRIBE – De bonheur parfait, alors ?
YAHWE – Mais non, tête de pioche! Il n'y a pas de bonheur parfait! Un bonheur, non… des bonheurs! Comme ça : de petits bonheurs en petits bonheurs ! Pas davantage… Ah encore une chose : notez bien que contrairement à la tradition, je n’ai jamais dit au cours de ces événements : « Et Dieu vit que cela était bon. »


Sources : Les mythes de création ne sont pas forcément "primitifs"et on peut aujourd'hui encore se faire une idée du commencement… Ce dialogue est naturellement une relecture du second récit de la création de la Bible, mais il est éclairé des réflexions de Jung dans sa Réponse à Job. Les rédacteurs du texte de la Tora avaient sans doute l’intention de proclamer un Dieu absolu, dont l’indiscutable loi fonderait définitivement la culpabilité humaine, laquelle culpabilité assiérait sur terre le pouvoir définitif de la classe sacerdotale. Selon l’interprétation de Jung, qui s’est longuement penché sur le problème du mal, Dieu le Père n’aurait pas envoyé Jésus pour expier devant sa justice les péchés des hommes (version officielle de l’Eglise : la Rédemption !), mais pour demander pardon aux hommes d’avoir permis, lui, Dieu, qu’ils soient mis au monde pour y affronter les horribles souffrances auxquelles ils sont exposés. Si l’on veut se rapporter au texte biblique, on le trouvera plus haut.

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