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Michel Fustier

CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
(http://contescreation.free.fr )


10 – PAYS NORDIQUES : WOTAN LE BORGNE.


LE GRAND-PERE - Maintenant, puisque nous nous sommes lancés dans les récits de création, il faut que je te raconte ce qu’on trouve chez les peuples du Nord, principalement les Germains, c’est à dire les ancêtres des Allemands… Mais c’est très compliqué.
LA PETITE-FILLE - Essaye tout de même, grand-père…
LE GRAND-PERE - Bien sûr que, pour amuser une petite fille comme toi, je pourrais me laisser tenter par quelques histoires pittoresques, comme celle du loup Fenrir…
LA PETITE-FILLE - Qu’est ce que le loup Fenrir ?
LE GRAND-PERE - Un loup tellement grand et méchant que les dieux germains voulurent l’attacher une fois pour toutes. Ils lui dirent : « C’est un jeu ! Laisse-toi attacher avec cette cordelette, pour voir. Tu la briseras facilement… » Mais Fenrir se méfiait : « Je veux bien me laisser attacher avec cette cordelette, mais à condition que pendant ce temps l’un d’entre vous mette sa main dans ma gueule… ». Il savait ce qu’il faisait. La cordelette était magique et nul ne pouvait la briser. Le dieu Tyr, l’imprudent, mit sa main dans la gueule du loup et le loup Fenrir lui dévora la main. Voilà ce qu’il en coûte que de vouloir maîtriser un fauve.
LA PETITE-FILLE - C’est une jolie histoire, même pour une petite fille, mais ça n’est pas une histoire de création.
LE GRAND-PERE - Tu as raison. Allons-y pour la création. Tu es prête ?
LA PETITE-FILLE - Oui. J’attends…
LE GRAND-PERE – Donc, au commencement des temps, il y avait au sud de la chaleur, au nord du froid…
LA PETITE-FILLE - Ça n’est pas très original.
LE GRAND-PERE - Ne sois pas trop pressée… Et un jour, le feu du sud et la glace du nord se rencontrèrent et - ne me demande pas comment !- de ce mariage de la glace et du feu naquit Ymir, dont on ne sait pas bien à quoi il ou elle ressemblait. Et de la glace qui fondait sortit également une vache qui nourrit Ymir de son lait. Quatre rivières de lait qui coulaient de ses quatre pis. Et pour se nourrir elle-même, la vache lécha la glace, qui était salée, et, en la léchant, elle sculpta un être qui avait une forme humaine. Celui-ci se mit à vivre et on l’appela Buri. Ce devait être une sorte de géant car il épousa la fille d’un autre géant qui passait par là et ils eurent trois fils… Et, écoute-moi bien, c’est important, l’un de ces fils était Wotan, le grand dieu des Germains, que d’autres appellent Odin.
LA PETITE-FILLE - Rien à voir pour le moment avec le loup ?
LE GRAND-PERE - Non… Pas encore. Je continue. Aussitôt nés, les trois fils en question, ne sachant pas sur quoi marcher, tuèrent Ymir et le ou la découpèrent en morceaux pour en faire la terre, les rochers, la mer, les nuages, le ciel. Il faut bien se débrouiller avec ce qu’on trouve! Ainsi eurent-ils un endroit où se poser.
LA PETITE-FILLE - C’est horrible, leur grand-mère !
LE GRAND-PERE - Non, ce n'est pas horrible, c’est mythologique.
LA PETITE-FILLE - Ah ! Quand quelque chose est trop horrible, on n’a qu’à dire : c’est mythologique ?
LE GRAND-PERE - Oui. En ces temps-là, on ne pouvait rien faire de sérieux sans sacrifier quelqu’un : n’importe qui le sait. Donc maintenant, le monde existe et il commence à se développer. Et en particulier des arbres poussent à la surface de la terre. D’un frêne et d’un hêtre, Wotan fit un homme et une femme. A moins qu’il ne les ait extraits du grand arbre cosmique qui se mit à pousser au centre du monde : l’arbre Yggdrasill. Cet arbre est comme le résumé de tout l’univers : ses racines s’enfoncent profondément dans le pays des morts et dans ses branches, qui touchent l’azur, vivent des multitudes de plantes et d’animaux. Les hommes peuvent aussi s’y réfugier et c’est par lui qu’ils peuvent passer de la terre au ciel.
LA PETITE-FILLE - C’est comme le grand chêne dans la cour de grand-mère, où nous montons pour nous amuser ?
LE GRAND-PERE - Tout à fait… Un arbre autour duquel tout s’ordonne. Dans les pays du nord, il y a devant presque chaque maison un grand arbre symbolique et sacré.
LA PETITE-FILLE – Bon, assez pour l’arbre. Et après, qu’est ce qui se passe ?
LE GRAND-PERE - Que veux-tu qu’il se passe ? Comme dans tous les commencements du monde, une bonne guerre entre les dieux… C’est banal ! Ici, c’est entre les dieux Ases et les dieux Vanes. Les premiers semblent avoir été des guerriers et les seconds des agriculteurs. Mais ils finissent pas se réconcilier… Je passe et j’en reviens à Wotan. Wotan, qui venait de participer activement à la guerre, n’était pas parfait, il ignorait beaucoup de choses et il le savait…
LA PETITE-FILLE - Et alors : il décide d’aller à l’école ?
LE GRAND-PERE - C’est exactement cela. Sauf que la source de tout savoir, en ce temps-là, c’était précisément l’arbre Yggdrasill. Wotan s’approche donc de Yggdrasill, il se fait attacher à ses branches et, le flanc transpercé par une lance, il reste là pendu, neuf jours et neuf nuits sans boire et sans manger… C’était la façon dont on apprenait les profondes leçons de la Connaissance en ce temps-là. Les ethnologues disent que c’est un « rite initiatique ». Il faut d’ailleurs savoir que les victimes des sacrifices faits à Wotan (car il y avait aussi des sacrifices humains chez les Germains) étaient de la même façon pendues aux arbres… Donc Wotan se sacrifie lui-même à lui-même pendant neuf jours et neuf nuits et à ce prix il obtient une sorte de don de voyance et de prophétie qui fait de lui, non pas une vulgaire batteur de sabre, mais un Dieu à part entière, un sage, un magicien qui connaît le présent et l’avenir. Il sait maintenant instantanément tout ce qui se passe sur terre. Cela le rend, de plus, capable de descendre tout seul de l’arbre ou il est suspendu !
LA PETITE-FILLE - Dis donc, grand-père, cela me rappelle des choses ! Est-ce que Jésus n’a pas été suspendu à l’arbre de la croix ? Et transpercé d’une lance ?
LE GRAND-PERE - Oui, bien sûr. Il y a beaucoup de correspondances entre les histoires que se racontent les peuples les uns aux autres. Mais j’en reviens à Wotan qui, décidément très soucieux d'en savoir toujours davantage, décide de boire aussi à la source de la Sagesse, qui coulait aux pieds de l’arbre Yggdrasill : mais pour avoir le droit de s’y désaltérer, il dut consentir à se faire arracher un de ses yeux, que le gardien de la source, Mimir, cacha quelque part au fond de l’eau.
LA PETITE-FILLE - Devenir borgne pour y voir plus clair !
LE GRAND-PERE - Oui. Pour mieux percevoir le monde intérieur, il vaut mieux ne pas avoir ses deux yeux. A partir de ce moment-là Wotan connaît et le monde et lui-même. Cela vaut d’y réfléchir. C’est pour cette raison que dans les opéras de Wagner, Wotan a toujours un bandeau sur l’œil.
LA PETITE-FILLE - Ah ! Je me demandais ce que ça pouvait bien signifier. Tout cela est assez sympathique… La Connaissance, la Sagesse! Assez sympathique, sauf pour Ymir, bien sûr, découpé en morceaux. Et pour ceux qu’on pend aux arbres.
LE GRAND-PERE - Jusqu’ici, oui, c’est sympathique. Mais il faut tout de même ajouter que Wotan est aussi un terrible dieu de la guerre et qu’il sait drôlement bien la faire, visionnaire et rusé comme il est. Il la fait d’autant mieux qu’il entraîne ses guerriers dès leur jeunesse à être aussi cruels que des loups, aussi puissants que des ours. D’ailleurs, dans son armée, on n’entre que lorsqu’on a déjà tué chacun au moins un homme…
LA PETITE-FILLE - Tu veux dire… de vrais commandos de paras ?
LE GRAND-PERE - Pire que ça. D’authentiques fauves, sans la moindre pitié, qui s’en vont, peints en noir, dévastant les campagnes et les villages. Et quand ils meurent au combat, ils entrent tout droit au paradis. Leur paradis s’appelle le Walhalla. Et ce sont les belles Walkyries qui viennent les ramasser sur le champ de bataille et qui les y conduisent…
LA PETITE-FILLE - Ce sont vraiment de petites têtes, ces fiers soldats !
LE GRAND-PERE – Tu comprendras plus tard… Et dans le Walhalla, on ne passe pas son temps à s’aimer et à chanter les louanges du Tout-puissant, mais à se battre ! Pour le plaisir : et à se battre et à se battre encore. On ne peut pas échapper à son éducation !
LA PETITE-FILLE - Et ça finit comment, tout ça ?
LE GRAND-PERE - Quand on aime trop faire la guerre, ça se termine généralement mal. Regarde les nazis ! L’histoire de Wotan se termine par un terrible combat, où tous les dieux s’entre-tuent. Les ruses et la déloyauté du démon Loki, qui intrigue de tous les côtés, rendent encore l’épreuve plus terrible. Wotan lui-même est dévoré par le loup Fenrir - le revoilà ! -, qui avait dû réussir à se détacher ! Et à la fin la terre entière s’embrase et tout est détruit par un gigantesque incendie. L’arbre même qui soutient le monde, Yggdrasill, s’écroule… O catastrophe ! C’est ce que Wagner a appelé Le crépuscule des dieux.
LA PETITE FILLE – Et Wotan a laissé faire ça ?
LA GRAND-PERE – Oui. Wotan, l’extralucide, a tout vu venir. Mais ce dieu terriblement humain, ce violent, ce brigand, ce traître a perdu toutes ses illusions. Il est très au-dessus du malheur lui-même et il sait que la destruction du monde est la seule façon de sortir des contradictions qu’il a accumulées en ajoutant la violence à la clairvoyance. Il espère que de ce monceau de cendres un surgira un nouvel univers.
LA PETITE FILLE - Ce n’est pas la première fois qu’un créateur rate son coup, selon ce que tu m’as dit ?
LE GRAND-PERE – En effet. Et même ce qui paraît réussi, on n’est jamais sur que ce ne soit pas raté. Il y a bien d’autres exemples.


Sources : Tacite a laissé quelques informations sur les croyances et les mœurs des Germains (en particulier comment ils se peignaient en noir, comme des loups, pour terrifier leurs ennemis). L’écriture grâce à laquelle cette tradition nous a été transmise est une écriture très fruste qui s’appelle « les runes ». Les sources principales sont deux poèmes islandais des dixième-douzième siècles, les Eddas, qui révèlent des données très proches de la tradition indo-européenne. A ce propos, les Germains et plus tard les nazis prétendaient être de purs Aryens… En réalité les Aryens étaient une peuplade indienne, dont on n'est pas tellement sûr qu’elle ait été en relation avec les peuples du Nord, mais qui est mythiquement considérée comme le prototype de la race blanche. Il est vrai que plus tard, les Aryens envahirent la Perse (l'Iran), ce qui les rapprocha de l'Europe. Un très bon résumé des Eddas et des données connexes se trouve dans L’histoire des religions de Mircéa Eliade.

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