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Michel Fustier

CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
(http://contescreation.free.fr )


9 – AFRIQUE : LES DIEUX RIVAUX.


Kolombo était dans l'univers le dieu qui s’était créé lui-même. Cela ne se discutait pas.
Muile, qui était, lui, le dieu le plus puissant de la tribu, dit à son peuple : « Qu’est-ce que c’est que ce Kolombo dont vous me rebattez les oreilles ? » Jusqu’ici, il n’avait pas voulu entendre ce qu’on en disait.
Ils répondirent sagement : « C’est le dieu qui s’est créé lui-même, d’après ce qu’il dit. »
« Vraiment ! Depuis le temps que vous en parlez, j’aimerais bien le rencontrer. »
Les gens de la tribu se demandèrent ce qui allait se passer entre les deux dieux et ils furent effrayés, mais ils allèrent alors trouver Kolombo et lui dirent en trembblant: « Ne nous en veux pas, Muile veut te voir. »
Kolombo dit : « Qui est Muile ? »
Ils répondirent : « C’est notre dieu habituel, très grand et très puissant. C’est curieux que tu ne le connaisses pas. Il veut te voir »
« Vraiment ! Je n’ai rien contre lui. J’irai donc le voir, dit Kolombo. »

Et Kolombo se mit en route avec tout le cortège de ses troupeaux. Ce fut un très long voyage. A la fin, il arriva devant le très puissant Muile qui était assis sur son trône : « Qui es-tu, demanda Muile? »
Kolombo répondit : « Je suis Kolombo, celui qui s’est créé lui-même. »
Muilé répliqua : « Ca n’est pas vrai : je suis Muile qui a tout créé et qui par conséquent t’as créé toi aussi. »
« Tu es bien audacieux de me parler comme ça, répondit Kolumbo. C’est toi qui m’aurais créé ? C'est désobligeant pour moi! Il me faudrait des preuves. Et je sais que tu n’en as pas. »
« Des preuves, des preuves… Au diable les preuves. Peut-être, ce qu’il te faut, ce sont des actes. »
Ainsi parla Muile et il prit un peu de terre dans ses mains, cracha sur la terre pour la rendre malléable, la fit tourner entre ses deux mains, en confectionna une sorte de rouleau et finalement il en sculpta la forme grossière d’un être humain qu’il posa par terre…
« Et alors, dit Kolombo ? Jusqu’ici je n’ai rien vu. Tout le monde peut en faire autant. »
« Regarde, dit Muile. » Et l’être qu’il avait formé devint vivant. Et tous les gens de la tribu crièrent : « Ah ! C’est un vrai créateur ! »

Alors Kolombo quitta son manteau et prit à son tour de la terre, soigneusement choisie, l’humecta avec sa salive, comme Muile l’avait fait, la roula entre ses mains… Puis il posa le rouleau à côté de lui et s’assit à côté.
« Je vois bien, dit Muile, que tu ne sais plus quoi faire maintenant et que tu n’es pas un créateur. »
« Ce qu’il y a de vrai, c’est que je ne suis pas un bousilleur et que je ne me presse pas. Chaque fois que je crée, j’invente quelque chose de nouveau et cela me prend du temps. » Puis Kolombo s’endormit à côté de son rouleau de terre. Et, pendant qu’il dormait, le rouleau prit lentement forme et il devint une très belle statue ; et chaque fois que Kolombo, dans son sommeil, se retournait, la statue gagnait encore en beauté et en force.
Et à la fin, la statue devint vivante et les gens de la tribu crièrent : « Ah ! lui aussi c’est un créateur. » Et la statue vivante vint se pencher sur Kolombo, qui dormait encore et déposa un baiser sur son front. Et Kolombo s’éveilla.
Et les gens dirent : « Celui-ci est beaucoup plus fort, car il est même capable de créer en dormant. »

« Ce n’est pas un être vivant, c’est un rêve, dit Muile. »
« Ce n’est pas un rêve, répondit Kolombo. »
« Alors, si ce n’est pas un rêve, fais-le parler. »
Et la statue, qui était devenue vivante pendant le rêve de Kolombo, se mit à parler et elle récita les louanges d’Amma. Elle était devenue vraiment un homme.
« Voilà ce que j’ai inventé en dormant. Ta créature parle-t-elle, demanda Kolombo à Muile ? »
« Parle, dit Muile à sa statue. » Mais la statue ne parla pas.
« Parle, encore une fois, dit Muile à sa statue. » Mais la statue ne put que remuer les lèvres sans qu’aucun son ne sorte.
« Veux-tu me ridiculiser, demanda Muile. Cette fois je t’ordonne de parler. »
Mais la statue ne put articuler une seule syllabe. Alors Muile dit à sa statue : « Je vais t’anéantir. » Et il mit la main sur elle et il l’anéantit. Et Kolombo aussi anéantit sa créature et elle mourut, car il n’en avait plus besoin.

Et Muile dit à Kolombo : « Alors, nous allons nous battre pour savoir quel est le créateur de l’autre! » Et ils se battirent et se poursuivirent d’un bout du monde à l’autre.

A la fin, aucun ne pouvant l’emporter, Muile dit : « Pour te prouver que je suis le plus fort, entre maintenant dans cette maison avec tous tes animaux et ferme soigneusement la porte : je vais brûler la maison et nous verrons alors ce que tu es. »
Kolombo entra dans la maison avec tous ses animaux et pendant que Muile allait chercher le feu, il dit à ses animaux : « Creusez un tunnel avec vos pattes et vos cornes sous les murs de la maison de sorte que nous puissions rejoindre notre village. » Et il ajouta : « Et toi, oiseau, pond immédiatement deux gros œufs que tu déposeras sur le sol avant que nous nous échappions. »
Et Muile apporta le feu. Et Kolombo et tous ses animaux quittèrent doucement la maison et s’en retournèrent dans leur village. Cependant Muile, après avoir mis le feu à la maison, la regardait brûler et se disait : « Cette fois-ci, je vais être bien débarrassé de ce Kolombo. »
Et juste au moment où il disait cela, les deux œufs que l’oiseau avait pondus dans la maison éclatèrent sous l’effet de la chaleur. Et quand il entendit l’explosion, Muile dit : « Cette fois-ci, ça y est, c'est prouvé : j’étais plus puissant que Kolombo. » Quand la maison eut fini de se consumer, Muile fouilla les cendres pour trouver les ossements de Kolombo, mais il ne trouva que des coquilles d’œuf. Et il commençait à s’étonner…

Et à peine avait-il exprimé son étonnement que Kolombo, qui était revenu de son village, se montra dans son dos et lui dit : « Coucou, je suis ici. »
Muile se retourna et dit : « Alors, si tu es ici, entendons-nous : toi, tu es très astucieux et moi, je suis très adroit. Aussi, nous créerons ensemble : toi, tu auras de bonnes idées et moi, je les fabriquerai. Pendant ce temps-là, tu pourras dormir tant que tu voudras. Et ainsi nul ne pourra dire qui surpasse l’autre : nous serons deux créateurs. Et, soit dit en passant, tu me diras comment tu fais pour faire parler tes créatures. »
Et ils tombèrent d'accord et ils se mirent au travail pour créer le monde entier. Mais Kolombo ne voulut pas que les animaux parlent.


Sources : Ce conte est inspiré de plusieurs contes africains cités par Marie-Louise von Franz d’après des sources de Leo Frobénius (Sur le chemin de l’Atlantide). Il met en valeur un thème fréquent dans les mythes de création, celui de la dualité des créateurs. Quelquefois c’est un couple, tout naturellement. Quelquefois ce sont des jumeaux. Souvent simplement des collaborateurs plus ou moins rivaux. L’un peut prendre alors le rôle de réalisateur actif et l’autre le rôle d’inspirateur passif. Dans certains cas, ils s’opposent carrément et l’un devient le constructif et l’autre le destructif. Le Mythe chrétien combine les deux aspects : d’une part la complicité-rivalité de Dieu le Père et de son Fils Jésus, d’autre part l’opposition de Dieu et du démon.

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