Michel Fustier
CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
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7 – SUMER : ENLIL LE BIENVEILLANT.
La mer primordiale, celle qui avait été là avant toutes choses et qui
subsisterait de toute éternité, bouillonnait impétueusement, énorme chaos agité
de vagues terribles, traversé de courants furieux, enveloppé de brouillards
épais, déchiré par des vents qui hurlaient. Jusqu’à ce qu’un jour,
se sentant remuée en elle-même par de profonds ébranlements, elle pousse un
grand cri d’effroi et donne naissance à une l’énorme sphère du
monde.
Le dieu du vent, qui errait jusque là sans savoir où aller, se précipita sur cette sphère et dans sa fureur… enfin quelque chose à bousculer ! il la divisa en deux, comme s’il avait été un couteau qui tranche par le milieu une miche de pain. Et en haut, dans la calotte supérieure, se trouva le ciel, et en bas, dans la calotte inférieure se trouva la terre, dont la surface était comme une galette plate sous le ciel. Et sous la galette, se trouvaient les lieux inférieurs. Le ciel était placé sous le gouvernement du dieu Ann, Père de toutes choses, et la terre sous la responsabilité de la déesse Ki, mère de toutes choses. Après s’être unis, ils avaient engendré en particulier Enlil, dieu du vent ou de l’esprit : le Seigneur-souffle… Celui qui précisément avait séparé en deux la sphère du monde : vous ne comprenez pas comment il avait pu faire cela avant d’être né, mais cela n’a pas d’importance. Ce qu’il y a de certain, c’est que par la suite Enlil créa les hommes. ENLIL, le Dieu des hommes !
Ainsi les très anciens habitants de Sumer se représentaient-ils les commencements du monde.
Et Enlil, le Dieu des hommes, était assis sur son trône, comme un roi en son
palais. Enlil sur son trône était entouré de toute sa maison : ses épouses, ses
fils et ses filles, ses gendres et ses brus, et ses domestiques, et les
domestiques de ses domestiques. Tous étaient des dieux, plus ou moins grands
selon leur naissance et leur nature, mais des dieux quand même. Et Enlil
régnait sur eux par sa parole.
Ceci vaut la peine d’être expliqué. Il régnait par sa parole signifie
qu’il n’avait qu’à dire : que cela soit, et cela était. Un
petit peu comme les fées des contes qui faisaient d’un coup de baguette
apparaître un carrosse ou un géant… Les dieux de cette région parlaient
- leur parole était magique !- et ce qu’ils avaient dit arrivait : que ce
palais soit, que cette montagne s’élève, que scintillent les
étoiles… Ainsi Enlil ouvrait la bouche et les choses se faisaient.
C’était d’autre part un dieu bienveillant, qui avait souci de
satisfaire son peuple.
Et justement les hommes vinrent devant lui et dirent : « Nous sommes des cultivateurs, nous travaillons la terre : or, nous avons un problème avec nos pioches qui se cassent trop souvent sans que nous comprenions pourquoi. Est-ce que tu pourrais y faire quelque chose, ô toi qui t’es précisément servi d’une pioche (que d’autres appellent une houe) pour extraire du sol l’argile dont tu nous a faits? » - « Certainement, dit Enlil. Mais d’abord, est-ce que vous prenez pour faire vos pioches le bois qui convient ? » - « Nous le croyons, mais nous n’en sommes pas sûrs. » - « Ah ! Ah ! dit Enlil… Et est-ce vous le taillez comme il faut et est-ce que vous le renforcez au bon endroit ? » - « Nous faisons ce que nous croyons le meilleur, mais... » - « Je vois, dit Enlil. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais je vais vous nommer un dieu préposé aux pioches : ils vous montrera comment les fabriquer pour éviter qu’elles ne se cassent. » Et le dieu préposé aux pioches fut Kabta… En plus de la glorieuse pioche, Kabta reçut la charge de s’occuper aussi des briques avec lesquelles les hommes construisaient leurs maisons. Des briques et des moules à briques : « Il y a tout un art de construire les moules à briques, aimait-il à répéter. » Kabta s’inclina devant Enlil. Sa charge était importante.
Les hommes dirent : « Nous avons aussi souvent des démêlés avec l’eau du fleuve et des rivières : tantôt elles sont à sec, tantôt elles débordent… L’eau est un problème grave et difficile, d’autant plus que, comme toi, notre Dieu, tu le sais parfaitement, notre terre flotte sur une nappe d’eau qui ne doit pas courir le risque de se dessécher. Mais si tu as pu faire quelque chose pour les pioches et pour les briques, peut-être pourras-tu faire quelque chose pour l’eau. » - « C’est en effet un problème très grave, dit Enlil : aussi vais-je nommer comme dieu des eaux un dieu d’une grande expérience, j’ai nommé mon principal collaborateur, le glorieux Enki. Il s’occupera en même temps de vous assurer de la bienveillance de la Nature en général. Vous le prierez et il vous écoutera. Il aura comme premier adjoint Ebilulu, qui sera spécialement chargé du Tigre et de l’Euphrate. Vous verrez à la longue lequel est le plus efficace des deux, et vous lui adresserez vos prières.
De la même façon, Mushdamma fut le dieu qui s’occupa de la construction des maisons, Dumuzi, le dieu chargé des étables et des bergeries, Sumugan, le dieu qui veilla sur la vie des plantes et des animaux. Et Sumugan disait : « Maintenant est venu le temps de semer le grain, maintenant est venu le temps de piocher la terre, maintenant est venu le temps de tailler les arbres fruitiers comme je vous l’ai enseigné… » On voit que le peuple de Sumer était essentiellement un peuple de paysans. Mais il y avait aussi des artisans : la fabrication des étoffes était sous la protection d’Uttu, le travail des métaux revenait à Nin-simug, celui du bois à Nin-ildu, l’écriture dépendait de Nisaba ou Nidaba… (comble d’ironie, sur les vieilles tablettes où furent consignées toutes ces choses, les savants modernes ne sont jamais arrivés à lire très exactement le nom du dieu de l’écriture!)
Il y eut aussi un dieu pour le soleil, qui s’appelait Utu, un dieu
pour la lune, qui s’appelait Namma. Iskur était le dieu de l’orage,
Gibil celui du feu, Inanna présidait à l’accouplement des animaux et
surtout aussi des hommes : c’était la déesse de l’amour, la Vénus
des Romains. Nin-edinna veillait sur la steppe. On l’appelait : «
Notre-Dame de la Steppe ». Nin-kilim s’occupait des petits
rongeurs… On n’en finirait pas si l’on voulait les nommer
tous, car il y en avait plus de trois cents.
Sans parler des petits démons qui habitaient sous la terre et qui se plaisaient
à venir faire des farces aux hommes, comme de percer les canalisations
d’eau, ou d’empêcher le feu de prendre, ou de retenir le pain de
lever, ou les femmes d’être fécondées. Il y en avait aussi environ trois
cents, dont Enlil désapprouvait naturellement les interventions, mais dont il
aimait parfois se servir lorsqu’il trouvait que les hommes
s’étaient mal comportés envers lui. Et lorsque les dieux secondaires
avaient failli à leur devoirs, c’était bien commode pour eux de dire
qu’un petit démon avait, pendant qu’ils dormaient, cassé la pioche
ou laissé tomber la foudre !
Ainsi étaient les dieux de Sumer. Et il y avait un peu partout, au centre des villes comme au carrefour des chemins, des temples où des petites chapelles qui leur étaient dédiés. On y venait en procession, on y faisait des offrandes, on y procédait à des sacrifices.
Pour le bien de tous, les dieux s’occupaient des choses qui sont sur la terre et ils ne donnaient pas de lois aux hommes ni aux femmes, comme le feront par la suite beaucoup d’autres dieux. Tout au plus tranchaient-ils leurs différends lorsque cela était nécessaire, de telle façon qu’ils gardent en mémoire les jugements qui avaient été rendus.
Sources : Sumer est une civilisation qui s’est développée en Mésopotamie
depuis des temps très reculés jusqu’au début du deuxième millénaire avant
J.C. Pour mémoire, c’est à Sumer qu’un déluge, celui dont
probablement se souviendra la Bible, est attesté par les découvertes
archéologiques aux environs de l’an 3 OOO. Les documents qui concernent
les religions mésopotamiennes sont multiples et contradictoires, car le rôle de
chaque dieu a varié dans le temps au gré des dynasties et des civilisations qui
se succédèrent dans le pays. Les détails ci-dessus ont été tirés de trois
livres : L’histoire commence à Sumer de S.N. Kramer, La naissance du
monde, ouvrage collectif publié au Seuil, et surtout Lorsque les Dieux
faisaient l’homme de Jean Bottero et S.N. Kramer. La vision un peu
idyllique des rapports des hommes avec les dieux contraste étrangement avec la
violence des commencements.
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