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Michel Fustier

CONTES DE LA CREATION DU MONDE.
(http://contescreation.free.fr )


6 - MEXIQUE : LES DIEUX ONT SOIF


Chez les Aztèques, il fallut s’y reprendre à quatre fois pour faire le monde.
La première fois l’humanité toute entière fut dévorée par les jaguars, qui étaient les serviteurs de seigneur de la nuit, le dieu des ténèbres de la terre.
La deuxième fois ce fut le dieu du vent, l’éternel rival du dieu de la nuit, qui fit souffler une tempête telle que les seuls hommes qui subsistèrent furent métamorphosés en singes.
Le dieu de la pluie et de l’orage, rival des deux autres, détruisit sans pitié la troisième humanité sous une pluie de roches brûlantes.
Quant à la quatrième, elle fut noyée sous un déluge qui dura cinquante-deux ans. Seuls survécurent un homme et une femme cachés dans le tronc d’un cyprès : mais ils désobéirent aux dieux et furent changés en chiens.
Pas de chance !
Il est vrai que les mythes mexicains sont tellement nombreux qu’il naturellement est difficile de dire ce qui arriva exactement. Il semble en tout cas que la terre sur laquelle vivaient les indiens d’Amérique ait été autrefois secouée par de violents cataclysmes naturels qui les terrorisèrent.
Et si l’on veut parler de la cinquième création, celle dans laquelle nous sommes, on n’est pas encore bien sûr que ce soit la bonne… et souvent dans le cours de l’histoire, il est arrivé que telle ou telle tribu d’Indiens, en proie au malheur et à la douleur, se soit mis en route pour aller voir si la bonne création, ce ne serait pas ailleurs. Ainsi les Indiens Guaranis errèrent longtemps et finirent par traverser la cordelière des Andes pour aller voir si au Pérou, par hasard ils la trouveraient… La terre qu’ils cherchaient, ils l’appelaient « La terre sans mal ».

Il y a aussi une autre légende, d’un peuple voisin, les Mayas, selon laquelle les dieux espérèrent une première fois que les animaux seraient capables de leur rendre les honneurs qui leur étaient dus et qu’en fait de création, cela suffirait. Mais ces stupides animaux n’étaient capables que de pousser chacun leur inintelligible cri : aussi, dans leur dépit, les dieux les condamnèrent-ils à devenir plus tard la pâture de ceux qui leur succéderaient. Tout n’était pas perdu !
Et ils essayèrent de faire de nouvelles créatures avec de la terre et de l’eau : mais comme ces créatures n’avaient pas d’articulations ni de nerfs et étaient incapables de se tenir debout, de dépit, ils détruisirent une nouvelle fois ce qu’ils avaient tenté de faire.
Ils eurent alors l’idée de faire des hommes en les sculptant dans du bois : mais ces hommes n’avaient aucune conscience des choses et ne se souvinrent pas de leurs Créateurs. Bien qu’ils aient été doués de parole et qu’ils aient peuplé la terre en grand nombre, ils ne furent jamais que des ébauches d’hommes. Et à la fin, toute la terre, et même les animaux, et même les instruments qu’ils avaient eux-mêmes faits, se révoltèrent contre eux. Et ils furent broyés… A moins que quelques-uns ne subsistent ici ou là sous la forme de grands singes ? On n’en est pas sûr.

Et alors, les vrais hommes, ceux qui vivent maintenant ?

Ils furent, dit-on, créés encore une fois par Quetzalcóatl, un dieu bienveillant, que d’autres appellent le serpent à plumes, qui, au lieu de souffler sur l’humanité pour la détruire, s’en alla cette fois chercher sous terre les ossements desséchés des morts (lesquels, on ne sait pas) et les arrosa de son sang pour leur redonner vie. Et ensuite, il les nourrit de maïs.

Mais l’âme indienne était pénétrée d’angoisse et de peur : les créatures des dieux avaient déjà été exterminées tant de fois! Et cette fois encore, ils ne purent s’empêcher de douter de leurs dieux et ils se persuadèrent qu’un beau matin le Soleil ne se lèverait plus sur eux et que le monde dans lequel ils vivaient s’abîmerait dans d’immenses tremblements de terre. Aussi ils prirent l’habitude chaque matin d’offrir au Soleil des sacrifices pour l’implorer de reparaître dans le ciel.
Tous les 52 ans, l’angoisse était encore plus grande. Cinquante-deux était un chiffre important qui correspondait au croisement de leur calendrier solaire et de leur calendrier stellaire. C’est aussi la durée moyenne de la vie de l’homme! Et que réclamait le Soleil pour qu’il consente à se lever de nouveau ? Il réclamait ce qu’ils appelaient « l’eau précieuse », c’est à dire le sang de victimes, humaines pour la plupart.
C’est la raison pour laquelle les Espagnols de Cortès furent frappés d’épouvante lorsqu’ils débarquèrent : les pyramides mexicaines dégoulinaient de sang et, à leurs pieds, les têtes coupées s’entassaient. Et les prêtres, qui ne se lavaient jamais, étaient eux-mêmes, à force de pratiquer leurs sacrifices, couverts d’une sorte d’enduit de sang séché.

Comment se procuraient-ils toutes ces victimes ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que les victimes immolées n’étaient pas des criminels, ni des hérétiques… L’usage en Europe était en effet d’exécuter les criminels et l’Inquisition faisait également mourir par le feu les hérétiques. Au Mexique les victimes étaient des offrandes faites au Soleil. C’était un acte de dévotion, non de justice. Et les populations avaient été élevées dans la croyance qu’il n’y avait pas de mort plus glorieuse que d’être un jour immolé au Soleil.
Quelquefois, il s’agissait de citoyens aztèques. Mais les plus souvent c’étaient des prisonniers de guerre qui étaient offerts. Or, pour avoir des prisonniers de guerre à offrir, il fallait faire la guerre : d’où l’organisation régulière de guerres avec les tribus voisines, qui partageaient les mêmes pratiques religieuses. Le principal objet de ces guerres était, non de conquérir des territoires, mais de faire des prisonniers. Après les avoir longuement comblés d’honneurs et de nourriture, on les étendait sur la pierre du sacrifice au sommet de la grande pyramide, on leur ouvrait la poitrine avec un couteau d’obsidienne et on leur arrachait le cœur encore tout palpitant pour l’offrir au Soleil.
Des couteaux d’obsidienne ? Les Aztèques, au moment ou les Espagnols débarquèrent, n’avaient pas découvert le fer et, même s’ils avaient réussi à construire une civilisation très avancée et très raffinée, ils vivaient encore à l’âge de pierre : l’obsidienne était une pierre volcanique très dure dans laquelle ils taillaient en particulier leurs instruments tranchants.
Et les sang des victimes coulait lentement jusqu’au bas des pyramides.

Qu’est-ce que tout ça vient faire dans un conte de la création du monde ?
C’est que précisément, chaque matin, il fallait recréer le monde. C’était la création continuée, la création soutenue à bout de bras. Si l’on s’arrêtait de faire couler le sang, le monde serait détruit… Cependant quand les envahisseurs firent cesser les sacrifices au Soleil, il n’en continua pas moins à tourner et tourne encore aujourd’hui. Mais le peuple aztèque fut atteint dans ce qu’il avait de constitutif : la croyance en ses dieux.

Sources : Les conquérants espagnols ont écrit ou fait écrire de nombreuses relations sur les mœurs et la religion des Aztèques et des peuples indiens qui les environnaient. Bernard Diaz : Histoire véridique de la conquête de la nouvelle Espagne, Bartholomé de las Casas : Très brève histoire de la destruction des Indes, Bernardino de Sahagun : Histoire générale des choses de la nouvelle Espagne… Cette histoire générale est en fait une énorme somme ethnographique et linguistique écrite avec l’aide des élèves indiens de l’auteur. Elle a sauvé de l’oubli une grande partie de la culture aztèque. Il convient cependant d’ajouter, pour relativiser les choses, que la sanglante culture aztèque est une culture tardive et dégénérée, une culture d’envahisseurs. Avant les Aztèques on trouvait dans les mêmes lieux une culture « toltèque » dont le dieu était justement Quetzalcóatl, culture humaniste dans laquelle le sacrifice humain n’avait, semble-t-il pas de part. Mais justement, devant les envahisseurs, Quetzalcóatl avait du s’enfuir par la mer. Certains espéraient qu’il reviendrait : mais ce furent les Espagnols qui débarquèrent.

 

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